Ce qu'il faut retenir :
- Les « gummies » vitaminés (bonbons de type ourson) sont de plus en plus prisés sur le marché de la nutraceutique.
- Cependant, ils ne permettent pas de développer tout type de formules du fait de nombreuses contraintes techniques.
- Les gummies posent surtout une question philosophique : la prise en main de sa propre santé peut-elle passer par un format aussi dé-responsabilisant ?
Allez, soyons honnêtes, qui ne rêve pas de pouvoir s’enfiler une boite de bonbons et d’avoir des résultats miraculeux : cheveux plus longs, peau étincelante, et même perdre quelques kilos ?! Mais entre nous, on se doute bien que c’est trop beau pour être vrai, non? Comme dirait ma grand-mère, “ÇA S’SAURAIT” si on pouvait maigrir en mangeant des bonbons. Pourtant les gummies vitaminés (terme de l'industrie pour parler des oursons en gélatine) s’imposent de plus en plus sur les étales des pharmacies. La question mérite sérieusement d’être posée : la Nutra en gummies, est-ce bien sérieux ?
Gummies = bonbons oursons vitaminés
Quand on parle de gummies, on parle simplement d’oursons (bonbons) en gélatine, dopés en vitamines, minéraux et/ou extraits de plantes. L’idée fondamentale est d’utiliser des formes “attractives” comme apport de vitamines. Vous vous en doutez, tout est parti des enfants : comment leur faire avaler leur dose de vitamine quotidienne s’il ne peuvent prendre ni gélules ni comprimés ? Et finalement, est-ce qu’un ourson de vitamine C, d’oméga 3 ou de multi, c’est pire que le traditionnel sirop infect bourré de fructose (goût orange/abricot) ? La vague est venue des États-Unis et s’est propagée aux adultes (qui eux aussi ont parfois du mal avec des comprimés) avant de déferler sur le vieux continent. Et bien sûr, pour les adultes les formes ont été déclinées : petite lune pour la mélatonine, étoile pour les vitamines…
Les Gummies, une Nutra pas comme les autres
Et si on se penchait un peu sur la composition de ces bonbons? Glucose, sucre, pectine (ou gélatine), colorants et arômes, quelques excipients supplémentaires et... des actifs, quand même. Que de sucre dans ce produit nous direz-vous? Tout à fait : près de 90% de sucres sans compter celui qui est ajouté naturellement par la pectine. Mais vous n’allez pas faire semblant d’être étonnés quand même, ça reste des bonbons !
Faciles à avaler, facile à produire ?
Pas si vite. Les gummies, imposent une série de contraintes particulièrement complexes à gérer :
- Nécessité des excipients :
- Agents d’enrobage (huile ou sucre) : ils évitent que les gummies collent au flacon ou même entre eux.
- Acidifiants (acide citrique): ils permettent la gélification, et ils sont indispensables car sans acidifiant votre nounours ne prendrait pas forme et resterait très liquide.
- Opacifiants (du phosphate tricalcique, dioxyde de titane), plus gadget qu’autre chose, ils permettent uniquement de donner un aspect mat ou un peu plus lisse à votre bonbon.
- Arômes et colorants : forcément pour être au moins aussi beau que bon, les fabricants sont obligés d’ajouter ces éléments qui font le petit plus de la formule.
- Actifs qui résistent à la chaleur : Comme pour les bonbons, la pectine et le glucose sont chauffés afin d’être coulés. Cela peut dénaturer les ingrédients (notamment les vitamines), il faut donc prévoir des surcharges et s’assurer de la stabilité des actifs dans le temps (notamment la vitamine C qui est connue pour être sensible à la chaleur, ainsi que la vitamine A par exemple).
- Un dosage limité : Tous ces ingrédients laissent très peu de place aux actifs : en général 200 mg maximum, soit plus de deux fois moins que dans une gélule. Prenons l’exemple de la mélatonine :
- avec la mélatonine synthétique, on utilise 1 milligramme, tout va bien, il reste 199 milligrammes de place pour d’autres actifs.
- si on prend de la mélatonine naturelle dosée à 1%, on va devoir utiliser 100 milligrammes pour avoir la même dose. La moitié de la place est déjà prise !
Lier l’utile à l’agréable, vraiment une bonne idée ?
Faisons un bilan simple avec les plus et les moins :
Les + |
Les - |
Apport ludique de nutriments (vitamines et minéraux) |
Beaucoup de contraintes techniques : chauffage, aromatisation, excipients |
Convient aux adultes et aux enfants |
Beaucoup de sucre |
Galénique innovante et technologique |
Actifs limités : stabilité et quantités |
Mais en dehors des limites techniques, il y a des questions presque philosophiques à se poser :
- Doit-on nourrir une addiction rampante au sucre, en ajoutant un rituel quotidien, alors que notre alimentation en contient déjà beaucoup trop (1,2) ?
- Doit-on réellement mélanger plaisir et santé ? Dans une démarche de prise en main, vaut-il mieux faciliter la prise de Nutra ou la responsabiliser ?
- Doit-on sacrifier l’efficacité d’un produit, en limitant la dose et la qualité du sourcing sur l’autel de la gourmandise ?
Toutes ces raisons font que nous n’avons pas encore développé de gummies : trop de sacrifices, pas d’alignement avec nos valeurs fondamentales. L'efficacité restera notre obsession : proposer chaque produit dans le format le plus efficace : gélules, huile, comprimés, poudre… en attendant peut-être un jour des gummies ???
Publications
(1) Loren Cordain, S Boyd Eaton, Anthony Sebastian, Neil Mann, and all ; Origins and evolution of the Western diet: health implications for the 21st century; http://www.ownmultiplesclerosis.com/wp-content/uploads/2013/06/CordainEvolution.pdf
(2) https://www.wcrf.org/sites/default/files/Curbing-Global-Sugar-Consumption.pdf
Photographie : Sarah Takforyan